Les cent pièces qui composent Résonances I appartiennent à un projet plus vaste que Daniela Schlagenhauf poursuit depuis quelques années selon une sorte de programme général d’engendrements de formes.
L'installation a été exposé au musée Bernard Palissy, Saint Avit 2011 - au Centre de Céramique Contemporaine, La Borne 2012 - à l'ancienne Poterie de Gradignan,, Gradignan 2015 - et à LAFABRIK, Aurillac 2015
Formes et couleurs
Daniela Schlagenhauf déploie ses nouvelles œuvres à partir de modules. Elle s’empare d’une forme ou plutôt d’un élément de taille unique qu’elle travaille, plie, enroule, déroule, tord, déplie, non pas au hasard ou selon une inspiration soudaine mais conformément à un plan de bataille réglé, ou plutôt conformément à un plan d’exploration des possibles « contenus » dans cette forme.
Le geste rejoint le plan mental de l’exploration systématique des possibilités et permet dans son déploiement, une présentation systématique des variations autour de ce que l’on pourrait appeler un thème.
Le thème se doit d’être simple. Il est composé d’une feuille de 65 cm sur 11 cm. Le principe qui permettra de faire évoluer l’ensemble doit aussi être simple. Outre les variations sur la forme de base, Daniela Schlagenhauf a associé à ce thème fondamental un thème secondaire, fondé sur les couleurs. Les feuilles sont en effet porteuses recto et verso de deux couleurs, toujours les mêmes, le bleu et le jaune.
L’enroulement est le point de départ mental à la fois appliqué à la lettre et déployé selon des variations annexes. Il est de toute façon inévitablement associé à son contraire, le déroulement ou le dépliement. De cet élan sont nées une centaine de pièces qui s’enroulent et se déroulent sur elles-mêmes. Mais elle aurait pu en engendrer mille, car les variations, les retenues, les intensités discrètes de chaque dépliement ou de chaque torsion sont potentiellement infinies.
Le jeu de relation et d’opposition entre les surfaces colorées contribue à donner à cet ensemble une dimension profondément musicale. Chaque couleur apparaît parfois sur la surface externe parfois sur la surface interne, selon un schème infiniment mobile. L’apparence de chaque oeuvre varie ainsi d’un aspect visible entièrement bleu à un aspect visible entièrement jaune, lors même qu’en fait nous savons que, dans ces cas-là, les parties non visibles sont de la couleur opposée à la couleur visible. Les autres pièces produisent des variations dans lesquelles la lumière propre à chacune de ces deux couleurs ne cesse de se mêler de s’appeler, de se répondre, de s’entre appartenir.
La vague et la ligne
Montrer ces œuvres telles qu’elles ont été conçues est un enjeu majeur, car seule une présentation qui prend en compte la série et l’infinité des variations peut en révéler la richesse. Les torsions qu’elles subissent confèrent à chaque pièce une singularité malgré le principe de répétition qui détermine l’ensemble. Le fait qu’il n’y ait que deux couleurs renforce la prégnance de chacune d’elle et participe de la révélation de sa puissance propre, une puissance sableuse pour le jaune et une puissance scripturale pour le bleu.
Ces lignes de couleur sont aussi potentiellement des lignes d’écriture et c’est la question même du sens possible d’un texte qui est comme mise en scène ici. À la puissance solaire du jaune s’oppose la trace du bleu et des signes qui le hante.
L’enjeu majeur de cette œuvre se situe dans les combinaisons de formes auxquelles donne lieu sa présentation. Chaque pièce est comme un mouvement de danse, ou du moins une boucle d'échauffement, et l’ensemble forme une sorte d’armée de danseurs attendant que soit relancé une fois encore le mouvement qui les agite intérieurement et dont la formule à la fois simple et complexe serait : faire, défaire, refaire.
La question essentielle qui traverse toute œuvre d’art, c’est de savoir comment elle réussit à rendre sensible quelque chose qui matériellement lui est opposé voire contraire. Comment la peinture par exemple, art de l’image immobile, peut rendre compte du temps ? Ou comment la sculpture ou des oeuvres de céramique qui relèvent de droit de la sculpture, art de la forme fixe, peuvent rendre compte du mouvement ?
Il y a quelque chose de la houle qui vient, s’en va, revient, lorsque l’on est face à cet alignement de pièces colorées affichant avec morgue leur différence, quoique toutes nées de la même matrice. Ces vagues de couleur ne surgissent pas pourtant du hasard, mais bien de cette obsession « narrative » qui porte et leur conception et leur présentation. Il existe en effet plusieurs possibilités d'installation et, partant, de lecture. Il est en effet possible d’aligner les pièces dans l’ordre a b c d e f / g h i j k l / m n o p q r/ et ainsi de suite. Comme il y a toujours six pièces par ligne, le regard revient en quelque sorte à la ligne comme dans la lecture.
Comme ces « enroulements » et « déroulements » se suivent, ils pourraient aussi être installés sur une seule ligne, mais cela rendrait la vision d’ensemble et l’installation concrètement très difficile. Par contre, il est possible de les installer de telle manière que la lecture implique de passer de a b c d e f, à l k j i h g, et de m n o p q, à w v u t s r, et ainsi de suite. Le regard accompagne dans ce cas un autre déroulement que celui de la lecture et cette proposition confère à l'ensemble une nouvelle dimension. La brisure dans la « logique de lecture » fait naître de nouvelles sensations, fait voir des rythmes inattendus. Ce brouillage de l’attente accroît la puissance d’évocation de l’oeuvre.
Résonances I est l’œuvre ou l’ensemble de pièces qui occupe la première place dans la logique du déploiement créateur auquel Daniela Schlagenhauf a entrepris de donner forme depuis deux ans, même si elle n’arrive, dans le temps de la création, qu’en seconde place.
À elle seule, cette « logique formelle » résume le principe de toute création qui est, et cela quels que soient les choix de chaque créateur, un montage singulier qui s’origine dans le mouvement lent et complexe à force de simplicité apparente, entre un thème et des variations.
C’est pourquoi, ici, avec Résonances I, une œuvre plastique multipolaire peut s’avouer profondément musicale et en mettant en scène une musique silencieuse et formelle, se révéler être un activateur de mouvement irrésistible.
Les vagues parfois s'allongent. Le rythme alors ralentit. On peut y percevoir, incarné dans la matière comme un ritardando. Il est provoqué tout simplement par le nombre de pièces allongées qui lentement augmente à ce moment de la série.
Chaque pièce a aussi son rythme propre, un rythme donné par la levée en chaque pièce de son mouvement interne qui en fait une vague s’étirant vers sa crête.
Les liens entre mouvement et couleur se précisent. Il est nécessaire de voir à la fois chaque pièce, l’ensemble, la succession des pièces entre elles et la relation que chacune entretient avec les autres, celle qui la jouxtent comme celle qui lui font signe de plus loin à travers les jeu de couleur.
L'enroulement et la chute sont donc liés à la couleur, car c’est la couleur qui s'enroule et qui à partir de la chute se transforme dans l'étirement. C’est la couleur qui, en passant par l’étalement simple de la feuille matricielle, remonte et s’étire s’enroulant dans la nouvelle vague qui monte à travers elle. Alors, enfin, dans cet alignement de formes dont on sent la parenté profonde mais dont on perd parfois la singularité, on remarque que les cimes de vagues sont toujours d'une couleur et que le changement de couleurs se fait au creux des vagues, ces creux de vagues qui s'allongent ou se resserrent, selon le moment. Le jeu que l’on disait être celui de faire défaire et refaire est devenu un balancement infini entre enroulement position étale et déroulement.
En regardant Résonance I, c’est donc avec l’oeil qu’il faut écouter même si c’est avec l’oreille interne qu’il faut appréhender ces variations qui sont comme autant de vagues dans l’océan infini du créé.
Jean Louis POITEVIN, Mai 2011